Face à la raréfaction grandissante de l'eau, la plupart des pays du monde ont opté pour une utilisation plus durable de leurs ressources hydriques. La crise actuelle des ressources en eau douce a trait à plusieurs problèmes distincts, entre autres ceux liés à l'approvisionnement en eau potable et/ou sa qualité, la pollution des ressources, ainsi que leur répartition entre les différents utilisateurs. Afin d'adresser ces problèmes, plusieurs pays ont initié des réformes fondamentales dans les mécanismes et institutions gouvernant l'utilisation des ressources en eau et l'approvisionnement des services en eau.
Ce projet propose d'analyser cette nouvelle donne juridique dans le domaine de l'utilisation des ressources en eau douce. Le régime juridique gouvernant l'allocation des ressources recouvre un nombre de secteurs, qui incluent entre autres la distribution de l'eau vers les habitations, l'irrigation, les utilisations industrielles et le traitement des déchets. De même, des perspectives diverses et parfois conflictuelles gouvernent ces différents secteurs - les droits humains, l'agriculture, le développement ou le commerce - ce au niveau local, national et international. Le projet mené par IELRC se propose d'établir un cadre théorique pour comprendre la place de l'eau dans le droit, et en particulier les tensions découlant d'une perception de l'eau soit comme bien économique soit comme droit humain. A travers ce projet, nous cherchons à contribuer à une compréhension en profondeur des multiples facettes du cadre juridique qui gouverne l'utilisation des ressources en eau et cela au niveau local, national et international.
Le contexte international
Des problèmes cruciaux accompagnent les contradictions politiques et les conflits issus des négociations en cours au niveau international sur des questions essentielles telles que l'utilisation de l'eau et l'accès à ses services pour toutes les couches de la société. Alors que les mouvements de privatisation et de commercialisation des services de l'eau dans les pays développés sont souvent basés sur des décisions et des réglementations nationales, les pays en voie de développement sont toujours plus assujettis à des engagements internationaux entraînant la mise en ouvre de mesures de privatisation. Le FMI, la Banque Mondiale et les banques régionales de développement ont joué un rôle clé dans la restructuration des services publics et plus particulièrement dans le secteur de l'eau des pays à bas revenu et cela au moyen de prêts et de mesures d'allégement de la dette.
Dans le secteur de l'eau, la réorientation des rôles attribués aux entités publiques et privées a également été renforcée par le développement du droit du commerce international. Portant dans un premier temps sur la libéralisation du commerce des biens, ce développement a ensuite mené à des négociations concernant la libéralisation progressive du commerce des services et cela sous l'impulsion de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS). L'objectif de cet accord est de libéraliser progressivement le commerce des services en éliminant les restrictions et les réglementations gouvernementales nationales perçues comme des barrières au commerce des services (cela comprend l'éducation, la santé, le tourisme, les transports, le ramassage des déchets et l'eau). Lors de la conférence ministérielle de l'OMC à Cancun, la société civile a demandé que soit clairement exclus du cadre de l'AGCS les services de base tels que l'eau. Malgré ces appels et suite à la déclaration de Doha, les membres de l'OMC se sont engagés à étendre la libéralisation du commerce des services. Il y a un besoin urgent de clarifier les conditions d'application de l'AGCS afin qu'elles soient interprétées en regard des règles du droit de l'environnement et des droits humains. En outre, plusieurs tentatives d'exportation de ressources en eau au-delà des frontières nationales ont alimenté un débat considérable: déterminer si l'eau est un 'bien commercialisable' selon l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) ou d'autres accords régionaux tel que l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
Alors que les investissements internationaux et le droit du commerce permettent toujours plus à des entités étrangères d'acquérir des droits d'accès aux ressources et services d'eau dans d'autres pays, d'autres secteurs du droit international cherchent à créer des droits afin d'assurer une distribution équitable de l'eau et de définir des limites à la mise en ouvre des mesures liées à sa privatisation au niveau national et local. Les principes de base du droit international des cours d'eau sont incorporés dans la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation de 1997. Au niveau régional, la Convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux est prévue afin de renforcer les mesures nationales de protection et d'utilisation écologique des eaux de surface (et souterraines) transfrontières. Situé au carrefour des préoccupations humaines et environnementales, le Protocole sur l'eau et la santé de 1999 (relatif à la Convention) établit le premier cadre international juridique majeur pour la prévention, le contrôle et la réduction des maladies liées à l'eau en Europe. Une série de déclarations internationales ont fait le lien entre le discours des droits de l'homme et celui sur l'environnement et le développement, à savoir le chapitre 18 de l'Agenda 21 de Rio de Janeiro, le plan de mise en ouvre adopté au Sommet mondial sur le développement durable de 2002 et les recommandations de Bonn pour l'action issues de la Conférence internationale de 2001.
Alors que les droits humains sont généralement neutres en matière de privatisation, puisqu'ils ne prescrivent pas qui devrait offrir les services de base, ils fixent néanmoins des garanties quand les mesures de privatisation sont décidées et mises en ouvre par les pays. Le droit à l'eau comme droit humain de base est lié à d'autres droits fondamentaux, tels que le droit à la vie, le droit à un niveau de vie adéquat (comprenant une nourriture suffisante et un abri) et le droit à la santé (physique et mentale). Le droit à l'eau est perçu comme une obligation pour les gouvernements d'assurer à leur population un accès sûr, abordable et adéquat à l'eau potable et cela à travers des politiques et des stratégies qui créent les conditions économiques, sociales et écologiques nécessaires à cet accès, qu'elles soient ou non entreprises par des entités privées. Dans son Observation générale no. 15 sur le droit à l'eau, le Comité des Nations Unies des droits économiques, sociaux et culturels expose plusieurs éléments qui doivent être présents afin que le droit à l'eau soit réalisé: par exemple la disponibilité, la qualité, l'accessibilité non discriminatoire ou encore la dissémination de l'information.
Le contexte indien
La situation de l'eau en Inde est difficile à résumer en raison des variations importantes en termes d'approvisionnement et de disponibilité existantes d'un bout à l'autre du pays. La mousson joue toujours un rôle crucial et influence les rendements agricoles, le remplissage des lacs et autres réservoirs, ainsi que les sources d'eaux souterraines. D'énormes variations dans la disponibilité des eaux de surface entre différentes régions du pays ont mené à la proposition d'un projet massif d'interconnexion des rivières. Il devrait chercher à relier quelques-uns des principaux bassins des fleuves afin d'assurer une meilleure distribution de l'eau à travers le pays. L'exploitation excessive des eaux souterraines a également nécessité une révision de la politique appliquée à l'utilisation des eaux souterraines et par conséquent sa réglementation.
Le cadre juridique relatif à l'eau en tant que ressource est relativement complexe. D'une part, l'eau de surface est généralement considérée comme une ressource commune ou sous le contrôle fiduciaire de l'Etat. Son développement a été largement entrepris par les agences gouvernementales. D'autre part, l'eau souterraine est considérée comme appartenant au propriétaire terrien et est par conséquent reconnue comme un bien rattaché à la propriété de la terre. Alors que l'eau de surface et l'eau souterraine ont été gérées séparément en termes pratiques et juridiques, ce principe a été remis en cause dernièrement; le cas de Plachimada mérite d'être mentionné afin d'illustrer cette réalité récente. Le partage des eaux est une question ne concernant pas uniquement l'eau souterraine mais également l'eau des rivières entre les états. Le conflit concernant le partage des eaux du Narmada entre le Gujarat, le Madhya Pradesh et le Maharashtra ainsi que celui entre le Karnataka et le Tamil Nadu au sujet du fleuve Cauvery illustrent les tensions générées depuis de nombreuses années par les questions de répartition de l'eau.
Au cours de ces dernières années, une pression non-négligeable a été exercée afin de revisiter les dispositions juridiques établissant les bases pour l'utilisation des ressources hydriques. La répercussion de cette pression est, par exemple, reflétée dans l'adoption de la Politique nationale de l'eau en 2002. Celle-ci offre clairement un rôle important au secteur public dans l'encouragement d'une utilisation plus durable de l'eau, l'incitation à une participation plus forte du secteur privé et l'intensification du recours aux approches participatives dans l'utilisation des ressources hydriques.
Durant la dernière décennie, l'Inde s'est forgé une expérience suite à des projets de restructuration dans le domaine de l'eau. Elle se situe actuellement au milieu d'un processus de mise en ouvre de plusieurs projets. Leur réalisation aura un impact certain sur la réalisation du droit à l'eau mais également sur d'autres aspects de la régulation de l'eau, et cela pour les décennies à venir. Certains états comme l'Andhra Pradesh, le Karnataka Maharashtra et le Tamil Nadu ont déjà restructuré leur secteur de l'eau. D'autres tels que le Madhya Pradesh, le Rajasthan et l'Uttaranchal ont également réalisé un effort similaire. Il est donc de la plus haute importance d'examiner plus en profondeur l'interaction entre les dimensions internationales et nationales des réformes dans le secteur de l'eau et de comparer les cadres juridiques (existants et proposés) dans les pays en voie de développement. En outre, il est crucial d'étudier les cadres réglementaires de l'eau dans une perspective comparative étant donné le rôle toujours plus important joué par les institutions internationales dans l'établissement des cadres réglementaires de l'eau et des compagnies multinationales dans l'approvisionnement des services d'eau.
Objectifs
Les principaux objectifs du projet peuvent être résumés ainsi :
- Analyser de manière critique les questions juridiques issues du droit international, telles les provisions des droits humains et environnementaux, concernant les conséquences économiques, environnementales et sociales des changements proposés au niveau de la réglementation de l'eau ainsi que leur mise en ouvre au niveau national.
- Etudier les impacts plus larges de la restructuration du secteur de l'eau, y compris les aspects liés à la réglementation, à l'environnement (qualité de l'eau) et aux droits humains, et les questions apparentées telles que le lien entre l'eau et l'agriculture.
- Examiner la situation en Inde concernant les problèmes sociaux, environnementaux et économiques découlant de la restructuration du secteur de l'eau.
- Développer des propositions pratiques et innovatrices pour les problèmes identifiés dans les projets de restructuration de l'eau en cours, y compris l'amélioration de la participation et de la transparence dans les processus nationaux et internationaux de prise de décision.
- Formuler des propositions spécifiques applicables en Inde dans le cadre de l'utilisation des ressources en eau.
Problématique
L'étude proposée portant sur le cadre juridique associé au contexte évolutif de la politique dans le domaine de l'utilisation de l'eau est structurée en deux parties générales.
Le projet se concentre premièrement sur une analyse critique des questions issues du droit international et cela concernant les réformes du secteur de l'eau et leur mise en ouvre au niveau national. Les principales questions de recherche sont les suivantes :
- Comment les règles internationales actuelles abordent-elles le besoin d'une utilisation durable de ressources hydriques toujours plus rares ?
- Quelles sont les différentes demandes établies par les différents secteurs en concurrence au sein du droit international en termes de réformes du secteur public de l'eau?
- Comment la multiplicité des standards internationaux influence-elle la prise de décision relative à l'utilisation de l'eau au niveau national et local ?
Construite à partir des conclusions de la première partie, la deuxième partie du projet a pour but de proposer des solutions pratiques et innovatrices pour adresser les problèmes sociaux, économiques et environnementaux découlant des réformes du secteur de l'eau au niveau national et cela particulièrement en Inde.
Apport du projet
Le projet contribuera à une compréhension plus en profondeur des cadres juridiques multiformes liés à l'eau qui régissent l'utilisation des ressources hydriques au niveau local, national et international. L'analyse des questions complexes liées aux cadres juridiques sur l'eau nécessite d'être entreprise dans des contextes spécifiques afin de comprendre la totalité des implications conceptuelles et pratiques des changements proposés. Peu d'études ont été réalisées en Inde sur les interactions entre le droit national et le droit international, et sur les impacts des développements juridiques internationaux sur le droit et la politique au niveau local. La focalisation de ce projet sur la situation indienne offre une manière d'examiner en détails les interactions du droit international avec le droit national ainsi que la pertinence du droit international dans le droit et le processus de prise de décision au niveau national. |